Face à l’inattendu, les improvisations réussies sont celles que l’on a… préparées
« Attends-toi à l’inattendu ».
C’est par cette formule paradoxale qu’un jeune centenaire, Edgar Morin, nous alertait, le 13 juillet 2021 – dans la Cour d’honneur du Palais des papes – lors de notre soirée de clôture de la mission d’étude annuelle de l’imm.
L’inattendu se produira, tel était son message.
L’expression « Manager en régime d’incertitude » est donc un pléonasme : manager, ce n’est pas reproduire à l’identique ce qui se faisait à l’âge de nos pères et mères. Si la mission du manager n’impliquait aucun pas vers l’inconnu, aucun risque, nous ferions tous du sur-place. Pire, sans les degrés de liberté (et donc sans l’incertitude) qui s’ouvrent dans une société complexe, nous n’aurions aucune chance de réussir à innover, à lancer des services nouveaux.
Et, au fond, tout ce qui arrive d’important dans l’histoire collective (la grande) comme dans nos histoires personnelles est imprévisible. L’incertain se révèle consubstantiel à nos vies personnelles et professionnelles. Faut-il pour autant renoncer au guidage anticipé, se contenter d’improviser et attendre, mains sur le volant, que surgissent dans nos phares les virages en épingles à cheveux (cachés par le brouillard bien sûr) ? Non, et pour une raison simple : réussir à improviser exige de s’y préparer.
Le Concert de Cologne de Keith Jarrett – que les musicologues qualifient de « Joconde du jazz » – a démarré dans les pires conditions d’improvisation possibles : d’un côté la pédale forte du piano ne fonctionne pas, les deux extrémités du clavier se révèleront faiblardes, de l’autre Keith Jarrett a mal au dos après un voyage de Zurich à Cologne en Renault 4L, on interrompt son dîner pour l’amener à l’opéra alors qu’il n’a qu’une envie c’est se coucher (il est 23.30); bon, il s’assied devant le piano, entend les cinq notes (sol-ré-do-sol-la) de la sonnerie de l’opéra qui prévient les spectateurs que l’on va démarrer ; que fait Jarrett ? Il répète ces cinq notes (anadiplose), et les 90 minutes qui suivent sont géniales (et enregistrées presque par hasard par un ingénieur du son stagiaire !). Mais Keith Jarrett joue depuis l’âge de trois ans, fait son premier concert à sept, connaît à fond le répertoire tant classique que jazz ; il peut se laisser aller ; le volant, il l’a saisi comme personne ce soir-là car il ne l’avait jamais lâché une seconde auparavant.
L’année à l’imm est l’occasion de pratiquer une répétition systématique et joyeuse des gestes que requiert le métier de leader. La seule différence avec la vraie vie : on peut se tromper sans risque, on est « à l’école ».
Pierre Varrod - Directeur des études